Alfred SOREL (1931-2022)
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Alfred Sorel est décédé le 29 décembre dernier à l’âge de 91 ans, quatre ans après son épouse Etya Sorel, soin épouse, professeure agrégée, elle aussi militante politique et syndicale. Chacun a sa notice biographique dans le dictionnaire Maitron. Tous les deux ont fait partie du CA de l’IRHSES.
Les plus jeunes militants.es ne l
ont pas connu car depuis une quinzaine d’années, de plus en plus atteint par la maladie, il n’avait plus de contacts avec ses anciens camarades. Il aura néanmoins marqué la vie du syndicalisme enseignant regroupé dans la FEN, pendant plus de quarante ans, depuis son entrée dans le métier d’instituteur au début des années 1950 jusqu’à la fin de la décennie 1980. Longtemps porte-parole du courant Unité et Action dont il fut un des principaux fondateurs, il était juste que la revue UA lui rende hommage, en retraçant son parcours militant et en demandant à celles et ceux qui ont milité à ses côtés de témoigner.
Texte de l’article publié dans la Revue UA Enjeux, signé Pierre cardon et Alain Dalançon
Instituteur communiste « unitaire »
Né en 1931 en Algérie, arrivé en métropole après la guerre, Alfred Sorel fait partie de cette génération de jeunes instituteurs communistes qui veulent voir se réaliser les promesses du programme des « Jours heureux » du CNR et sa traduction dans l’éducation avec l’application du plan Langevin-Wallon.
Jeune normalien au début de la guerre froide, avec son camarade et ami Daniel Renard, il est partisan de maintenir à la CGT le syndicalisme enseignant regroupé dans la FEN, après la scission provoquée en 1948 par la tendance Force ouvrière. Mais il accepte le passage à l’autonomie de la fédération et de son principal syndicat, le SNI (Syndicat national des instituteurs) auquel il adhère en 1951 en devenant instituteur. Très vite il siège à la commission nationale des jeunes du SNI. Dans le cadre de la « double appartenance » admise, il est également adhérent à la FEN-CGT où il est associé un temps à la direction en 1952, mais dont il doit démissionner sur demande de Denis Forestier, devenu secrétaire général du SNI. En 1954, il approuve sans réserve l’appel du bureau politique du PCF aux instituteurs communistes à ne militer qu’au SNI-FEN.
Dès lors, tout en restant fidèle au refus du système des tendances institué en 1948 dans la FEN autonome, il prend une part importante dans l’animation du courant dit « Bouches-du-Rhône ». Il milite en même temps dans le PCF pour structurer des commissions sur l’enseignement dans les fédérations de la région parisienne. Entré au comité de rédaction de la revue L’École et la Nation en 1956, il est intégré dans la commission auprès du Comité central suivant les questions de l’enseignement à partir de 1958. Georges Fournial prenant sa retraite, la direction du PCF décide en septembre 1961 de proposer aux « unitaires » qu’il conduise leur liste pour les prochaines élections au bureau national du SNI.
Cette liste, « Pour un SNI toujours plus fort et plus uni », obtient 27 % des mandats et 5 sièges, ce qui lui permet d’être reconnu comme leader des « unitaires » au SNI, et bientôt à la FEN où il siège à la CA nationale. Toujours opposé au système des tendances, il œuvre pour unir les personnels sur la base d’un programme revendicatif à visée de transformation sociale dans une perspective socialiste, fidèle à l’esprit de la double besogne de la Charte d’Amiens, s’appuyant sur la lutte de classe.
Il critique les orientations de la politique du pouvoir gaulliste dans le domaine de l’École et de la fonction publique. Quand il ne retrouve pas cette volonté de la combattre de la part de la direction du SNI, il appelle à voter contre le rapport moral. Mais quand l’union des forces de gauche est en marche au milieu de la décennie (1965, candidature unique de la gauche de François Mitterrand à l’élection présidentielle ; 1966, pacte d’unité d’action CGT-CFDT), il appelle à voter pour et même pour la motion d’orientation : il apprécie les progrès réalisés par le SNI dans le domaine de la formation des maîtres dans l’optique de la réalisation du Plan Langevin-Wallon, avec une première étape à bac + 2.
Naissance d’Unité et Action et de sa revue
Alfred Sorel apprend beaucoup de l’expérience « hors-tendances » depuis 1960 dans la section du SNI de la Seine-et-Oise. Avec Daniel Renard, secrétaire de la section FEN, il fait opérer progressivement un virage visant à organiser et affirmer l’existence d’un « courant de pensée » au sein du SNI et de la FEN. Devenu secrétaire de la section du Val-d’Oise du SNI en 1966, il prône un réel débat parmi les « unitaires » au cours de ses déplacements dans les départements pour harmoniser les positions avant les congrès nationaux du SNI et de la FEN.
De leur côté, les unitaires du SNES et du SNET, dont les syndicats fusionnent dans un nouveau SNES en 1966, ont commencé à organiser une tendance « Unité et Action » dans le but de conquérir la majorité. En convergence avec les analyses de camarades communistes du SNES (Gérard Alaphilippe) et du SNEP (Marcel Berge) et de non-communistes (Jean Petite et André Drubay), il accepte le jeu du système FEN reconnaissant les tendances.
En décembre 1967, après la prise de la direction du SNES par U-A, la liste unitaire du SNI change de nom , « Pour l’unité, l’action, l’efficacité du SNI », et progresse sensiblement, obtenant 10 sièges contre 18 à la majorité autonome, et 2 à l’École émancipée.
C’est après le mouvement de mai-juin 1968 que prend corps l’organisation du courant de pensée « Unité et Action » dans le SNI et la FEN, dans laquelle Alfred Sorel joue un rôle déterminant. En octobre 1970 est créé le bulletin Unité et Action qui se transforme en Revue U et A, en 1972, dont le comité de rédaction réunit l’ensemble des membres « unitaires » de la CA fédérale.
Porte-parole national du courant “Unité et Action“
Son sens de l’écoute, sa capacité à opérer des synthèses et sa connaissance du terrain et des militants, font d’Alfred Sorel un leader incontesté, dont la parole est écoutée par tous dans les réunions internes et les congrès., y compris des majoritaires organisés également en tendance « Unité, Indépendance et Démocratie » (UID) depuis 1971.
Aux élections du BN du SNI de 1970, la liste « pour l’unité et l’action du SNI » qu’il conduit, connaît une progression importante (11 sièges contre 17 à UID et 2 à l’EE). Ajoutée à l’ancrage de la tendance U-A au SNES et au passage de plusieurs syndicats du second degré et du supérieur à U-A (SNEP, SNESup, SNPEN, SNCS), une telle progression fait craindre aux dirigeants majoritaires de perdre la majorité fédérale, au moment où est négocié et signé en septembre 1972 le programme commun de gouvernement de la gauche. La crainte est telle que la majorité de la FEN menace le SNES et le SNEP d’exclusion au congrès de 1973.
Alfred intervient à cette époque sur le fond de la stratégie syndicale, laissant à d’autres camarades le soin d’intervenir contre le projet de l’École fondamentale (Daniel Renard), pour la formation des maîtres (Désiré-Nicolas-Charles) ou sur les libertés dans le monde, y compris dans les pays socialistes (André Belleville). Dans la Revue U et A en 1973, dans le prolongement de son intervention à la CA de la FEN en 1970, il expose le programme revendicatif qui devrait être celui de la FEN. Défenseur du PCG, il fait à la majorité UID l’offre d’un rapprochement sur la base d’un accord loyal. Il estime que le meilleur moyen de trouver une issue politique à gauche, est de mener hardiment l’action syndicale unitaire contre les accords salariaux, les orientations du Plan et pour l’augmentation des budgets, alors que la majorité UID continue à chercher une part dans le cadre de la politique contractuelle gouvernementale.
Les débats de tendances connaissent à la fin de la décennie 1970 une nouvelle acuité. Les confrontations sont sévères avec les secrétaires généraux du SNI de la FEN. Sans agressivité verbale, Alfred Sorel argumente de façon personnelle et persuasive en faveur de l’unité d’action syndicale contre la politique gouvernementale. Après le rapprochement d’UID avec le Parti socialiste en 1975, et la rupture du Programme commun de la gauche en 1977, les tensions politiques s’enveniment, d’autant que la majorité réussit à faire reculer la progression d’U-A dans le SNI. Si Alfred Sorel est réélu au BN en février 1976, sa liste en reste à 10 élus contre 19 à UID et un à EE.
Alfred Sorel favorise la participation des sections UA de la FEN à des actions unitaires auxquelles n’appelle pas la direction fédérale, comme la Marche sur Paris en mars 1979, ce qui aggrave encore l’accusation portée contre lui d’animer une FEN-bis. Après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République en mai 1981 et l’entrée de quatre ministres communistes au gouvernement, il est partisan de pratiquer un syndicalisme constructif, mais actif et vigilant. Un an après, en mai 1982, il estime qu’il ne faut « pas taire inquiétude et mécontentement ». En septembre, il indique que le « gouvernement a besoin d’un mouvement syndical fort et uni », et que la FEN ne peut accepter la baisse du pouvoir d’achat.
À partir du début des années 1980, Alfred Sorel commence à passer le témoin de ses responsabilités syndicales à des militants plus jeunes, en essayant d’y intégrer des femmes (Christiane Journeau, Yolande Magois, Mireille Rustin, Evelyne Mathonnière). Il laisse la conduite de la liste U-A au BN du SNI-Pegc à Joël Derrien. En revanche, il conserve jusqu’à la retraite ses mandats à la FEN. Il est réélu en 1985. Il avait cependant préparé la relève, notamment avec Michel Veylit et Raphaël Szajnfeld, qui lui succède en 1986 comme porte-parole fédéral de la tendance.
Avec son départ à la retraite, il devient rédacteur en chef de L’École et la Nation. Il redevient membre du comité de la fédération communiste du Val-d’Oise de 1987 à 1996. Élu conseiller municipal d’Argenteuil en 1977 et réélu en 1983, il devient adjoint délégué à la culture. En 1992, candidat communiste au Conseil général dans le canton d’Argenteuil, il est élu au deuxième tour dans une triangulaire contre des candidats de droite et du Front national.
Du SNI au SNUipp et de la FEN à la FSU
C’est avec beaucoup de crainte qu’il assiste à la mise en œuvre par la majorité UID du SNI-Pegc et de la FEN des tentatives de recomposition syndicale à la fin de la décennie 1980, fondée sur une conception d’un syndicalisme « de la marge », jetant publiquement aux orties la référence de la Charte d’Amiens. Si au moment de l’exclusion du SNES et du SNEP de la FEN en 1992, il se demande comment les militants UA du SNI-Pegc peuvent rester dans la FEN, il comprend vite qu’il n’y a pas d’autre issue que de fonder un autre syndicat, le SNUipp, et une autre fédération, la FSU, auxquelles il apporte son soutien.
Un syndicalisme où il retrouve tous les principes pour lesquels il s’était battu. Une orientation partagée de transformation sociale, un objectif d’unification syndicale, une démocratie interne respectueuse de tous et toutes, une « laïcité vivante fondée sur une politique qui s’attaque aux problèmes de ségrégation et d’exclusion dont sont victimes tant de jeunes. »